19 août 2004

Une anomalie dans la réponse cérébrale à la perception de la voix humaine dans l'autisme

Une étude menée au sein de l'équipe mixte Inserm-CEA « Imagerie Cérébrale en Psychiatrie » au Service Hospitalier Frédéric Joliot révèle une incapacité des autistes à activer les aires cérébrales spécifiques de la reconnaissance de la voix humaine. Ces résultats étayent l'hypothèse selon laquelle les difficultés des autistes seraient liées à un déficit de la perception des stimuli sociaux.

Une étude menée au sein de l'équipe mixte Inserm-CEA « Imagerie Cérébrale en Psychiatrie » au Service Hospitalier Frédéric Joliot [ En collaboration avec le Centre de Recherche en Neuropsychologie et Cognition (CERNEC) et l'Université de Montréal] révèle une incapacité des autistes à activer les aires cérébrales spécifiques de la reconnaissance de la voix humaine. Ces résultats étayent l'hypothèse selon laquelle les difficultés des autistes seraient liées à un déficit de la perception des stimuli sociaux. Le détail de cette étude est publié dans le numéro d'août de la revue Nature Neuroscience.

La voix humaine est riche en informations verbales mais aussi non-verbales : elle constitue un véritable "visage auditif" que nous savons interpréter. Nos capacités à percevoir ces informations vocales jouent un rôle crucial dans nos interactions sociales. De plus, une équipe de chercheurs a mis en évidence, par l'imagerie cérébrale fonctionnelle, que la perception vocale implique des régions corticales spécifiques appelées "aires de la voix", situées chez la plupart des individus le long du sillon temporal supérieur.

L'autisme est une pathologie sévère du développement de l'enfant qui se caractérise par des difficultés dans les interactions sociales. Des études comportementales ont permis d'observer également un déficit dans la perception de la voix humaine. Afin de préciser les bases cérébrales de cette pathologie, les chercheurs de l'équipe mixte Inserm-Cea ont étudié par imagerie fonctionnelle (IRM fonctionnelle) comment le cerveau des sujets autistes adultes perçoit la voix humaine par rapport à d'autres sons. Pour cela, l'activité cérébrale de cinq adultes atteints d'autisme et de huit volontaires sains a été enregistrée alors qu'ils écoutaient des séquences de sons alternant la voix humaine (parole, cri, rire, pleur, chant) et d'autres types de sons non vocaux (animaux, cloches, instruments de musique, voitures etc…).

Les résultats obtenus révèlent chez les autistes une absence d'activation de l'aire spécifique de la perception de la voix ("aire de la voix"). Chez ces sujets, les aires cérébrales activées sont exactement les mêmes, qu'il s'agisse de voix humaines ou de sons non vocaux. Aucune activation cérébrale spécifique d'une reconnaissance de la voix humaine n'a pu être mise en évidence. Par ailleurs, à la question « qu'avez-vous entendu pendant l'examen ? », les autistes ne rapportent que 8,5% de sons vocaux contre 51,2% pour les témoins, confirmant leur faible capacité à reconnaître des voix humaines.

De précédentes études dans le domaine visuel en IRM fonctionnelle avaient déjà révélé chez les autistes une absence d'activation de l'aire spécialisée dans le traitement des visages. Cette étude sur la voix, stimulus auditif riche en informations sur l'identité et l'état émotionnel de l'interlocuteur, met cette fois en évidence un trouble de la perception sociale dans le domaine auditif.

Ces anomalies du traitement de la voix et des visages suggèrent que les difficultés des autistes à comprendre l'état émotionnel d'autrui et à interagir avec lui pourraient être liées à un déficit de la perception des stimuli sociaux. Ces résultats en imagerie fonctionnelle apportent de nouvelles perspectives pour comprendre les perturbations des interactions sociales dans l'autisme. Enfin, la mise en évidence de ces déficits perceptifs pourrait permettre l'élaboration de stratégies de rééducation visant à induire un traitement spécifique des informations vocales et faciales, traitement qui semble ne pas s'être développé spontanément chez l'autiste.

Ce travail a été financé par la Fondation de France et Fondation France-Télecom (mécénat autisme)

Source : Nature Neuroscience, vol 7, n°8, p 801-802, août 2004

"Abnormal Cortical Voice Processing in Autism"

Hélène Gervais1, Pascal Belin2,3, Nathalie Boddaert 1,4, Marion Leboyer5, Arnaud Coez1, Ignacio Sfaello1, Catherine Barthélémy6, Francis Brunelle 1,4, Yves Samson 1,7 and Monica Zilbovicius1

1. ERM 0205, Inserm-CEA, DRM, DSV, Service Hospitalier Frédéric Joliot, Orsay

2. Centre de Recherche en Neuropsychologie et Cognition (CERNEC), Université de Montréal

3. Centre de Recherche de l'Institut Universitaire de Gériatrie de Montréal

4. Service de Radiologie Pédiatrique, Hôpital Necker Enfants Malades, Paris

5. Service de Psychiatrie, Hôpital Henri-Mondor, Créteil

6. Inserm - Unité 619, CHU Bretonneau, Tours

7. Service des Urgences Cérébro-Vasculaires, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Vidéo

10 août 2004

Le point sur les études génétiques

M. Leboyer et T. Bourgeron , "Autisme : le point sur les études génétiques", in La Science au présent 2004, Encyclopaedia Universalis.

Le point sur les études génétiques
Marion Leboyer Thomas Bourgeron

Merci à Yves Gautier, rédacteur de l'ouvrage "La science au présent 2004" aux Editions Encyclopaedia Universalis, qui nous autorise à reproduire intégralement l'article de M. Leboyer et T. Bourgeron.

Différentes constatations vont dans le sens d'une prédisposition génétique à l'autisme. Le risque de récurrence dans les familles d'autistes est quarante-cinq fois plus élevé que dans la population générale. De plus, les études épidémiologiques menées chez des jumeaux monozygotes montrent que lorsqu'un des enfants est atteint d'autisme le deuxième a une probabilité de 60 p._100 d'être également autiste, alors que cette ressemblance est beaucoup plus faible chez les jumeaux dizygotes.
L'autisme est très certainement un syndrome polygénique (plusieurs gènes sont impliqués) et les gènes responsables varient d'une famille à l'autre. À ce jour, plusieurs consortiums internationaux ont réalisé des études de criblage du génome dans des familles d'autistes avec au moins deux enfants atteints. Parmi les résultats obtenus par ces études, des sites susceptibles de contenir des facteurs de vulnérabilité de l'autisme ont été trouvées sur les chromosomes 2q, 5p, 7q, 10p, 16p, 19p, 19q et Xq. En 1999, dans le cadre de l'étude internationale que nous coordonnons, l'une des premières études globales du génome pour l'autisme (A._Philippe et coll., 1999) a été publiée.
Nous avons ensuite cherché à identifier des gènes dits "candidats", c'est-à-dire potentiellement impliqués dans l'étiologie de la maladie, dans les régions identifiées par criblage du génome, ce qui a permis d'obtenir plusieurs résultats positifs. Dans la région du chromosome_6 en 6q16, région la plus significative de cette étude systématique du génome, se trouve le gène GRIK2 codant pour un récepteur au glutamate, très bon candidat pour la susceptibilité au syndrome (S._Jamain et al., 2002). Dans la région Xp22.3 a été identifié le gène de la neuroligine_4 (NLGN4), codant un des membres de la famille des neuroligines. Ces molécules d'adhésion cellulaire sont des facteurs cruciaux pour la formation des synapses fonctionnelles.
Une mutation génétique a été mise en évidence sur le gène NLGN4 dans une famille où deux garçons sont touchés, l'un d'autisme et l'autre d'un syndrome autistique appelé syndrome d'Asperger (AS).
Dans une autre famille, chez deux frères affectés l'un d'autisme et l'autre d'AS, une mutation touchant le gène NLGN3, également héritée de la mère, a été identifiée (S._Jamain et al., 2003).
L'altération de NLGN3 ou de NLGN4 pourrait affecter des protéines d'adhésion cellulaire localisées au niveau des synapses, ce qui suggère qu'un défaut dans la formation des synapses prédisposerait à l'autisme.

28 mai 2003

La peur du vaccin: c'est la faute aux médias

(Agence Science-Presse) - Le public a été "trompé" par les médias: ceux-ci ont réussi à lui faire croire que le vaccin rubéole-rougeole-oreillons n'est pas sécuritaire.

C'est l'opinion indignée qui se dégage d'une analyse britannique de la couverture journalistique à laquelle a eu droit cette controverse en Grande-Bretagne. Selon cette analyse, dont le New Scientist a obtenu copie, au sommet de la controverse, en 2002, au moins la moitié du public britannique croyait que les médecins étaient divisés quant au caractère sécuritaire –ou non– du vaccin. Alors qu'en réalité, l'opinion des médecins n'a jamais varié d'un iota: la très grande majorité accorde sa confiance à ce vaccin qui, depuis des décennies, a fait ses preuves.

Les premiers soubresauts de la controverse remontent à 1998, lorsqu'un gastroentérologue de l'Hôpital Royal Free de Londres, Andrew Wakefield, publie un article dans la revue médicale The Lancet: il y émet l'hypothèse d'une association entre le vaccin ROR et l'autisme chez les enfants. Les données sur lesquelles il s'appuie ne concernaient que 12 enfants, et ne permettaient de conclure à aucun lien: ce n'était qu'une hypothèse. Mais le fait que les médias aient par la suite choisi d'accorder un temps égal aux "deux côtés de la médaille" a conduit le public à croire que les deux hypothèses –un lien vaccin-autisme et une absence de lien– étaient d'égale valeur. "Notre étude confirme que les médias d'information ont joué un rôle capital", assure au New Scientist Justin Lewis, de l'École de journalisme de l'Université Cardiff.

Une hypothèse comme celle soulevée par Wakefield est indubitablement d'intérêt public. Mais la question n'est pas là. Une recherche qui remet en question le caractère sécuritaire d'un vaccin universellement accepté devrait être approchée avec la plus grande prudence, autant par les scientifiques que par les journalistes. Ce qui n'a pas été le cas, lit-on dans l'étude: sur 561 reportages publiés entre janvier et septembre 2002 –et dont la moitié sont concentrés pendant la "frénésie médiatique" allant du 28 janvier au 28 février 2002– plus des deux tiers mentionnaient le lien vaccin-autisme.

Seulement la moitié des reportages télévisés et un tiers de ceux de la presse écrite s'appuyaient sur le quasi-consensus de la communauté scientifique quant au caractère sécuritaire du vaccin ROR afin de contrebalancer l'hypothèse Wakefield.